La Maison des Arts de Bagneux, qui se visite maintenant sur rendez-vous privé, présente depuis le 6 novembre 2020 et jusqu’au 30 avril 2021, des pièces incontournables de l’artiste André Cervera. Une aubaine pour le centre d’expositions des Haut-de-Seine qui se voit programmer celui qui recevra les encouragements de Robert Combas et Michel Zoom, « poète de la Figuration Libre », et qui constituera avec Aldo Biascamano et Tino Cosentino, le subversif collectif YAROS. Il s’agissait alors de peindre avec rage, pour un « art total », dans une pratique quasi tribale : peintures en direct à six mains sur tous supports, happening, provocations drolatiques. Ils prônent, dans un simulacre joyeux, la transe poétique, mêlant théâtre, cinéma expérimental, et performances hallucinées. L’aventure des YAROS aura duré de 1982 à 1986. Aujourd’hui, les peintures d’André Cervera, traduisent toujours cette rage, maîtrisée avec le temps, et conduite avec virtuosité.

L’exposition « Histoires extraordinaires dans le vaste monde » traverse le temps et les continents ; chaque œuvre est une fenêtre ouverte sur un récit réel ou fictif, mythologique, ou encore religieux.
Celui qu’on qualifie d’expressionniste latin nous propose deux étages d’immersion complète dans ses voyages en Asie, où la question de la représentation signifiante est centrale.

 

La série d’œuvres à quatre mains réalisées avec Swarna Chitrakar

Au rez-de-chaussée du bâtiment se dévoilent une quinzaine d’œuvres aux compositions très compartimentées : deux factures dialoguent sur les toiles, mêlant figuration et couleurs explosives dans le traitement de phénomène d’actualité, tels que les attentats du 13 novembre 2015, à Paris.
C’est à quelques milliers de kilomètres de Calcutta, dans un village de 1 500 habitants, qu’André Cervera rencontre un peuple indien musulman hors normes. Dans leur tradition, toutes les femmes sont peintres et indéniablement soutenues par leur mari.
Utopie sociale, artistique et féministe, qui se voit rejetée par les religieux du pays, mais dans laquelle André Cervera trouve un havre de création, et une source d’inspiration inédite.
Lorsqu’il rencontre Swarna, elle ne parle ni français, ni anglais. La réalisation des œuvres à quatre mains avec elle devient alors le médium principal de communication, un langage universel.

 

Les trois guerriers chinois et la série sur papier

A l’étage, trois majestueux tableaux de 200 x 150 cm nous font face, représentant la force et l’habileté des soldats chinois. Dorures, attributs de guerre et tissus travaillés : André Cervera rend un réel hommage au savoir-faire chinois à travers le traitement presque sacralisé de ces figures de combats.
La thématique des anges est encore bien présente dans ses toiles ; des créatures volantes qui trouvent des définitions diverses et variées selon les cultures. Quelle différence entre Ange et Démon ? Ordonnent-ils aux soldats de tuer ? Ou, à l’inverse, les rappellent-ils à leur humanité ?
Cette vision théâtralisée d’un dilemme cornélien nous fera remarquer les masques ornementés des guerriers, en référence aux costumes de l’Opéra chinois, dont l’artiste apprécie beaucoup l’esthétique. Cette addition instaure un doute : sommes-nous sur le terrain de guerre ou sur une scène ? Ce qui est sûr est que ces œuvres nous font penser à Calderón et à son Grand Théâtre du Monde.

Enfin, une série d’aquarelles sur papier habillent les murs de l’étage dans une dimension plus brute, plus tribale, jouant sur les formes simplifiées et pourtant très parlantes. Des épisodes de vie y sont racontés et leurs illustrations dynamiques nous soumet avec brio à une multitude d’émotions.

 

Meghane Murzereau