Biographie
André Cervera (par Philippe SAULLE)
Né en 1962 à Sète. Vit et travaille à Sète et au hasard de nombreux voyages…
Dans les années 70, André Cervera est déjà fasciné par la peinture mais plus encore, par le fait même de peindre. L’heureuse ascendance de son grand frère Michel Zoom, « poète de la Figuration Libre », et les encouragements nourris de Robert Combas qui ont tous deux quelques années de plus, lui donnent le courage de se lancer, d’oser enfin. Il exposera même avec ces aînés en 1978 dans la revue d’Hervé Di Rosa, Katty Brindel, Combas et les Bazooka : « Bato ».
Il intègre finalement la préparation de l’Ecole des Beaux-Arts à Sète, où règne Madame Mancié qui a couvé, quatre ans auparavant, les trublions de la future Figuration Libre. Il sera reçu ensuite à l’Ecole des Beaux Arts de Marseille avec Aldo Biascamano. Tous deux, grâce à la patience de Max Charvolen, professeur d’art, vivent presque religieusement le choc de la rencontre avec l’œuvre d’Yves Klein, artiste absolu, maître en énergie pure, chamane lumineux. Rejoints par Tino Cosentino, ils créent le groupe « Yaros » et fuient les écoles et les cursus studieux.
Les trois Yaros vont s’exprimer avec rage, pour un « art total », une pratique quasi tribale. Peintures en direct à 6 mains, sur tous supports, happenning, provocations drôlatiques. Ils prônent, dans un simulacre joyeux, la transe poétique, mêlent théâtre, cinéma expérimental, performances hallucinées. Ils réalisent un petit film manifeste qui dit en substance : « Vive le mange, le boire, le cul, le battre, la jave ! ». Ils multiplient les actions, écrivent de courts contes poétiques en quelques minutes, sous l’effet de psychotropes variés. Le rock ‘n roll brûle. L’aventure des Yaros aura duré de 1982 à 1986.
Les peintures d’André Cervera, traduisent toujours cette rage, maîtrisée, certes aujourd’hui, et conduite avec virtuosité. Les saynètes, le théâtre, les huis clos poétiques sont guidés par des courts scénarii. À la différence des Figurations Libres, André Cervera s’exprime dans un style très expressionniste. Celui de Kokochka ou Ensor et le trait noir épais du mouvement Die Brücke. Mais son expressionnisme s’affirme de plus en plus « latin » et s’inspire au fur et à mesure des voyages, de la magie ou de l’animisme des si mal nommés « primitifs ».
Le Sénégal sera sa première destination en 1994. Après trois ou quatre jours passés dans les quartiers chauds de Dakar, il part pour Touba. Il souhaitait s’immerger dans l’animisme, il rencontrera une profonde dévotion musulmane. Il se coule dans la ville sainte, aspire parfums, couleurs et paroles avec passion. Il enregistre. Plusieurs peintures surviendront ensuite en atelier, notamment « Le petit village» où il est question de la déliquescence du christianisme. Sa rencontre avec l’animisme viendra bien plus tard…
La même année, au mois d’août il est invité en Croatie à Pakracs, sur le lieu mémoire des débuts du conflit serbo-croate. Il offre un grand triptyque au Musée de la ville : « Hier / Aujourd’hui/ Demain », soit : la guerre inepte, le souvenir pieux et… la renaissance cynique du commerce roi. La mort plane sur des fantasmes de paysages décharnés.
En 1995, il réalise une série de peintures inspirée par un voyage imaginaire au Mexique, en noir et blanc, il inaugure l’usage du collage et du papier kraft. Il parle d’un « voyage effleuré », inspiré par une camarde déjantée, pour exorciser sans doute.
C’est invité en résidence au Maroc à Tetouan, l’année suivante, que naîtra le désir de réaliser une série de peintures d’animaux totémiques de plusieurs villes du Languedoc. En 1997 il peindra huit mises en scène, traitées de façon héraldique : le loup de Loupian, le bœuf de Mèze, le chameau de Béziers, le cochon noir de St André, la chèvre de Montagnac, l’âne de Gignac, le hérisson de Roujan et… la sirène de Sète qu’il préfère, désinvolte, à la baleine singulière.
Invité par un ami collectionneur, il part en 2001 au Mali, en pays Dogon. Sa fascination pour les films de Jean Rouch et Marcel Griaule a longtemps nourri ses rêves d’histoires et son intérêt pour l’animisme. André Cervera, vit une expérience forte, chamanique, à l’ombre de ces falaises rouges. Il y fait un second voyage en 2002. Il est autorisé à entrer dans la maison des masques et reçu par le hogon, gardien des fétiches et chef Dogon, c’est que sa peinture et plus encore sa façon de peindre fascine en retour ses hôtes. Il s’embarque pour un périple initiatique dans le désert. Il peint en compagnie d’un artiste burkinabé et utilise les matériaux trouvés sur place, la terre, le batik, ses couleurs s’affirment, le rouge, l’ocre, le noir, le bleu. Mais surtout – et comme pour ses deux voyages suivants en Inde – André Cervera compile, enregistre les codes symboliques, les mythologies, les histoires. En 2003, 2004, 2012 et 2016 il voyage des mois durant de Pondicherry à Calcutta, se perd dans les dédales populeux de Madras, Vanarassi ou Bombay. Il découvre et se prend de passion pour l’art des patuas, ces artistes troubadours originaire du West Bengale. Face à la profusion et la luxuriance des formes et des couleurs indiennes, il oppose son style dépouillé expressif et intérieur, en noir et blanc. Il s’émancipe d’un dessin trop raffiné. Son regard reste occidental, ses mises en scène sont immanquablement guidées par le théâtre ou le huis clos cinématographique, mais il y fait intervenir des éléments de légendes, des saynètes symboliques, glanés au fil de ses rencontres. Masques dogons, Ganesh, Kanapa, Shiva, croisent une gazinière ou une télé pour une expression directe de la magie au quotidien.
Depuis 2006, il est régulièrement invité en résidence en Chine (Shanghai et Pekin) où il a réalisé de nombreuses expositions personnelles. Durant ces séjours chinois, tout est prétexte à fabriquer de la matière graphique et sa peinture, au contact de la Chine en pleine mutation, paradoxalement, s’est déplacée vers plus de précision, de netteté, de rigueur dans le dessin, l’application des couleurs et des collages.
Au fur et à mesure de ses voyages, André Cervera aiguise son style, choisit ses tampons, ses techniques de coulures pour réaliser ses cernes de couleur, réduit ses teintes, travaille le collage, les enduits, les glacis, les transparences, use de papiers rares, peaufine ses motifs et nourrit son imagination débordante.
Abusivement assimilé à la Figuration Libre du fait de ses racines, André Cervera a, en une vingtaine d’année, développé ce que l’on pourrait qualifier d’ «expressionnisme latin», affirmé avec de plus en plus de maîtrise et de rigueur. L’urgence de peindre le dévore. La peinture le brûle et le consume en un rituel vital, une obsession, un exutoire : peindre à l’excès pour peindre l’excès. Lorsqu’il peint il nous dit son propre rapport au monde dans ce qu’il a de démesuré. C’est à corps perdu qu’il se jette dans la peinture de la même façon qu’il raconte avec une exubérance exaltée les incidents de chaque jour.
Il n’y a pas de sophistication dans le discours d’André Cervera, la parole, en cascade, est guidée par l’émotion, la vérité. Aujourd’hui, l’artiste est comblé, invité dans le monde entier. Pour l’enfant de Sète, qui, comme les artistes de la Figuration Libre, vient du peuple, c’est une sorte de revanche, un hommage obstiné à son père qui en d’autres temps s’est fait lâchement voler sa révolution en Espagne.
Galerie
Habiter poétiquement le monde avec H art
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